Bonjour à tous,
J'offre ici de quoi peut-être vous distraire de vos pérégrinations hivernales et propose un petit inventaire, certes incomplet, d'un endroit ou les températures négatives ne sont qu'un mythe distant racontés par les gens du Nord (avec un grand N).Gran Canaria est la seconde île par sa superficie des Canaries. On y trouve bien entendu toute la clique de bouffeur de Jambon fumé, d'espagnols un tantinet sanguins, de youkous troglodytes cherchant l'évasion de la société capitaliste, et de retraités allemands en combo tongues/chaussettes. On s'y fait. Heureusement, dès qu'on s’éloigne un peu des stations balnéaires du sud, on retrouve une ile très sauvage restée authentique aux paysages grandioses qui se prêtent à l'observation de la faune, de la flore, aux hikings et à la solitude méditative. Que du bonheur.
Mais venons en à ce qui nous intéresse ici. Si je vous dis Canaries, vous me répondrez ? Messor minor hesperius, sans aucun doute. Et vous aurez raison. Cependant la myrmécofaune de l'île ne s'arrête pas la, loin s'en faut. Voyons donc.
1. Puerto de Mogan
Petit port rupestre un peu plus épargné par l’urbanisation touristique sauvage que le reste sud de l'île. Mais même (relativement) épargné, un milieu anthropisé reste un milieu anthropisé, c'est à dire hautement perturbé et peu favorable à une diversité élevée d'espèce.
Dans ces zones urbaines donc, et ce sera valable pour le reste de l'île, nous retrouvons majoritairement deux invasives qui se déchirent les trottoirs, parcs et jardins : Pheidole megacephala et Paratrechina longicornis. Elles sont partout, et il n'y a plus ou moins qu'elles que l'on observe facilement. De fait, ces zones sont bien plus humides que les alentours naturels avoisinant, et propice à leur dispersion.
Pour peu que l'on prenne la peine d'explorer les alentours, l'on s'exporte rapidement sur les paysages arides caractéristiques du sud de l'île. La chaine montagneuse centrale réduit en effet drastiquement les précipitations vers ces régions, le climat y est encore plus clément (et sec) qu'ailleurs. Ça plait aux touristes, moins aux fourmis.
Mais pour peu que l'on cherche un peu, car elles sont planquées, l'on retrouve des espèces asez sympathiques. Camponotus rufoglaucus fea est abondante par endroit, se nourrissant du pollen ou du miellat d'aphides sur les quelques plantes qu'on retrouve dans ces paysages caillouteux. Quelques Monomorium dont nous reparlerons plus tard, ainsi que Plagiolepis schmitzii s'y font assez discrètes.
Enfin, l'espèce (ou plus précisément, sous espèce) emblématique des îles est aussi bien présente, quoi que peu visible. Quelques nids çà et là. Il est à noter que j'ai eu la chance en ce début février d'arriver après de récents essaimages, cela ne devait pas dater de plus de quelques semaines. Au détours de randonnées et d'une simple pierre qui glisse, de nombreuses fondatrices seules et sans couvain cavalent dans tous les sens. Même quelques mâle survivant était toujours la. Timing impeccable pour l'observation.
2. Les dunes de Maspalomas
Premièrement : Maspalomas, c'est moche. C'est la ville balnéaire phare de la région sud, envahie de toutes les calamités qu'un tourisme de masse et incontrôlé peut amener avec lui. Heureusement, un petit parc naturel encadre les dunes de la plage, qui sont ma fois assez jolies et relativement préservées.
Dans cette région sablonneuse, l'on retrouve énormément de nids de Monomorium subopacum dont j'ai eu l'occasion de photographier une reine, avant de la remettre bien calmement à sa place; elle ne s'en sortira qu'avec une petite frayeur. Quelques Bothriomyrmex, ainsi que Crematogaster alluaudi s'ébattent joyeusement dans la végétation. La petite et jaune Tetramorium depressum fait aussi sont apparition.
Enfin, cette fois-ci plus actives, Messor minor hesperius. Encore une fois, des fondatrices sont visibles un peu partout, dont certaines toujours en vie comme illustré ici et d'autres, pour avoir mal choisi leur sport de fondation, ayant eu moins de chance. Ainsi va la vie.
3. Tejeda
Nous sommes ici dans le centre montagneux de l'île, à 1000 mètres d'altitude à la grosse louche. Point de paysages désechés, les précipitations retenues par les crêtes rocheuses donnent lieu à un panorama verdoyant envahi d'agaves. C'est donc au milieux de ces pentes qu'émergent de petits villages construits en terrasse. On s'y sent bien. Et cela donne aussi lieu à de splendides couchés de soleil, loin du brouhaha des station balnéaires trop touristiques pour être authentiques.
Globalement, nous rencontrons ici les mêmes espèces que dans le reste de l'île à quelques détails près, sauf que la ou elles se faisaient discrètes dans les paysages du sud, elles se font ici abondantes dans la végétation et la rocaille. Voyons plutôt.
L'on trouve toujours de populeuses colonies de Tetramorium depressum et de Monomorium hesperium sous les pierres au sol. Temnothorax bimbache, grande espèce terricole (relativement grande pour le genre du moins), fait aussi son apparition.
Toujours beaucoup de Messor minor, et les fondatrices qui vont avec par ci par là. On notera donc que l'espèce s'acclimate très bien d'un milieu bien moins sec qu'on ne l'imagine, la densité de nids est assez incroyable dans cette région. La ou, au sud, les colonies s'enfoncent profondément dans le sol à la recherche probable d'humidité, elles sont ici à fleur de rochers. Elles ont déjà leur quota d'eau en surface.
Toujours encore, de nombreuses et populeuses colonies de Camponotus rufoglaucus fea avec ici, une reine assez évasive et paniquée qu'on ai touché à son cailloux.
Et enfin, Plagiolepis schmitzii, toutes reines et ouvrières dehors.
4. Caldera de bandama
Nous parlons ici du cratère d'un volcan éteint dans la partie nord de l'île, région viticole par excellence produisant un produit de qualité dont on abuse parfois un peu trop. Le sentier menant à son centre se comporte d'un chemin escarpé de végétation colorée et cendres volcaniques. Si le sol y est riche, sa composition en micro-pierres de la taille d'un gravillon est peu propice aux espèces terricoles qui ne savent probablement pas vraiment y maintenir l'architecture d'un nid. On retrouve donc principalement des espèces sachant nidifier dans les anfractuosités de grosses pierres et des falaises, ou dans le centre du cratère au sol plus argileux.
On retrouve donc ici classiquement beaucoup de Plagiolepis: les deux espèces répertoriées sur l'île y sont représentées avec Plagiolepis schmitzii et Plagiolepis maura
Une reine de Tetramorium depressum, portant une ressemblante encore plus frappant que d'accoutumée avec une reine de Pheidole, s'est aussi prêtée à l'objectif. Franchement, si je ne l'avais pas vu au milieu de sa colonie, je me serais probablement fait avoir. Bluffant.
Enfin, je pensais pouvoir voyager dans le sud sans apercevoir cette vile bestiole. Manque de bol, le fond du cratère en est envahi. Il faudra donc aussi compter avec Linepithema humile, qu'on l'aime ou non.
5. Las Palmas de Gran Canaria
Je terminerai sur une note un peu plus morne. Las Palmas est la capitale de l'île. Et comme toute capitale, c'est bétonné, ce sont des immeubles à 5 étages, des plages de sable fin, des bars, des touristes et des boites de nuits. Si c'est idéal pour faire la fête, et ma tête en sonne encore, ça l'est beaucoup moins pour l'observation de la myrmécofaune. Tout cela pour dire que le coin est sans surprises envahi de Pheidole megacephala et de Paratrechina longicornis que je n'ai même pas pris la peine de reprendre en photo. A noter la petite apparition inattendue au coin du parc San Telmo de Lasius grandis. C'est déjà ça.
Voila voila, ceci conclut ce (petit) reportage. Que dire ? L'endroit recèle de trésors de nature et de paysages sublimes pour ceux qui veulent aller les chercher, et de cocktails farniente pour ceux qui préfèrent se la couler douce. Ce seront donc 14 espèces de fourmis que j'aurai répertorié sans trop chercher au cours de ce voyage, ce qui n'est pas si mal compte tenu de la bonne vingtaine probablement présentes sur l’ile (non, je refuse de sortir les pitfall traps, tout autant que de tamiser la litière et battre la végétation avec des filets fauchoirs durant mes vacances). Et pour terminer, le couché de soleil du sud reste un spectacle recommandé d'évasion des longues semaines d'hiver.