Je vais poser ici les bases d'un projet qui va prendre pas mal de temps à mon sens car je veux faire les choses bien.
Voilà maintenant quelques années que la myrmécologie me passionne mais jusque là, je m'étais contenté d'un statut d'éleveur amateur, d'un éventuel bricoleur de nids, mais guère plus.
Aujourd'hui (allégoriquement, j'ai commencé depuis quelques temps déjà !), je mets en place une expérience "inter-espèces" que je vais tenter de vous expliquer dans ce premier billet.
Depuis longtemps, j'observe la nature, comprendre "mon jardin" où se toisent et se côtoient des Lasius emarginatus, des Camponotus lateralis, des Crematogaster scutellaris (que de rouge et noir !) et quelques Tapinoma et autres Camponotus / Lasius qu'il me reste à identifier lorsque le temps me le permettra.
De cette observation, je me dis "c'est ça, la nature : pas de cage, pas de limites : tout vit en communauté et partage ce lopin sans qu'il n'y ait de guerres assassines (les affrontements existent mais ne font péricliter aucune des espèces présentes). Et si nous nous rapprochions encore davantage de leurs conditions lors de nos élevages ?
Créer une aire de chasse, non plus de 10x10cm ou de 20x20cm mais de plusieurs mètres cube et qui serait œcuménique, c'est-à-dire qu'il n'y aurait plus qu'une seule aire de chasse pour toutes les colonies d'un éleveur !
Pour que ce projet soit un minimum viable, il m'a fallu plancher sur sa faisabilité et sur les conditions de sa réussite. Il est évident que les espèces de biotope différent ne pourront pas faire partie de cette expérience.
J'ai donc d'abord sélectionné les espèces qui seront reliées à cette aire de chasse géante :
- Camponotus vagus
- Camponotus cruentatus
- Camponotus lateralis
- Crematogaster scutellaris
- Lasius niger
Je m'ajoute une petite difficulté volontairement en adoptant les C. lateralis et les C. scutellaris puisque l'une suit les pistes phéromonales de l'autre à son insu, ce qui risquera de donner lieu à de belles escarmouches...
Ensuite, j'ai planché sur la forme qu'aura mon aire de chasse mais n'ai à ce jour aucun dessin à vous montrer (j'éditerai lorsque j'aurai eu le temps de faire un plan Sketchup). L'aire sera un meuble en bois vitré avec plusieurs étages. Lesdits étages seront liés les uns aux autres mais la liaison sera obturée dans un premier temps par de la mousse oasis.
Afin d'assurer un minimum de pertes et un maximum d'interactions passives entre les différentes espèces, je vais tenter plusieurs petites expériences qui ont déjà commencé.
J'ai d'abord sélectionné quelques agents olfactifs qui pourraient servir de "barrages" aux pistes phéromonales laissées par les fourmis. De ce fait, je pourrai contrôler les "carrefours olfactifs inter-espèces" en leur érigeant des canaux qui n'appartiendront qu'à elles. A ce jour, les meilleures agents retenus sont l'acide citrique et l'acide acétique.
Expérience n°1 : Aire de Chasse commune pour C. cruentatus et L. emarginatus, agent : acide citrique.
Les Camponotus cruentatus accueillent dans leur aire de chasse 5 ergates Lasius emarginatus. L'aire est divisée dans sa longueur par une trainée de jus de citron. Il y a de la nourriture du côté des Lasius et rien du côté des Camponotus.
Après plusieurs heures, je constate qu'aucune Camponotus ne franchit la limite olfactive.
Le matin suivant, une Lasius a réussi à passer en se servant d'un léger espace sur la paroi libre de toute odeur et s'est faite littéralement décapitée par les Camponotus.
Jour 2 : Le barrage est franchi au soir par plusieurs individus des deux côtés : bain de sang.
Expérience n°2 : Aire de Chasse commune pour C. cruentatus et L. emarginatus, agent : acide acétique.
Mêmes conclusions au jour près que pour la première expérience, à la différence notable que l'acide acétique semble provoquer davantage de répulsion que l'acide citrique.
Expérience n°3 : Aire de Chasse commune pour C. cruentatus et L. emarginatus, agent : acide citrique 60%, acide acétique 40%.
3 jours d'expérience, aucune des deux espèces n'a franchi (ni même tenté de franchir) la barrière olfactive mise en place.
Dans le même temps, j'ai préparé plusieurs petites cuves avec cet agent (60/40) que je laisse sécher. Chaque application sur chaque cuve a été faite à un jour d'intervalle.
Tous les matins (ou tous les deux jours, nous verrons), je mettrai une ergate de chaque espèce dans la cuve pour tenter de déterminer avec exactitude la durabilité de cet agent pour déterminer si le projet est viable (je ne me vois pas éditer cette piste olfactive tous les jours sur une aire de plusieurs mètres...). Ensuite, je verrai comment prolonger au maximum "l'espérance de vie" de l'agent pour pouvoir intervenir le moins fréquemment possible.
Voilà, le billet commence à être long, alors je vais m'arrêter là pour aujourd'hui.
Il est évident que je ne prétends pas faire quelque chose ni de fantastique, ni de novateur. Je tente juste de m'enrichir de quelques expériences sympathiques et qui, si le projet aboutit, pourra me permettre d'organiser mon installation d'élevage d'une façon optimale et qui me sied au plus haut point (je suis toujours ravi de voir les comportements inter-espèces in natura, alors pourquoi pas reproduire cela chez moi !).
Je suis ouvert aux avis (même négatifs) donc, n'hésitez pas à me faire part de vos expériences dans le domaine ou de vos conseils dans cette démarche.
A bientôt et merci pour votre lecture.